Jean-Michel Lorain

(décembre 2003) Gastronomie cuisine



Quelques extraits de l’entretien avec Jean Michel et Brigitte Lorain

Jean Michel et Brigitte Lorain dirigent l’hôtel-restaurant de "la côte Saint Jacques" à Joigny. Succédant à Michel, son père, le grand chef qu’est Jean Michel est l’héritier de décennies de saveurs et l’inventeur de créations gourmandes. Il aime communiquer sa passion du goût

Antoine Spire : Avez-vous un bon souvenir gastronomique de votre enfance ?

Jean-Michel Lorain : J’ai été élevé par ma grand-mère, Marie, qui avait créé la pension de famille "la Côte St. Jacques". Je me souviens des plats tout simples qu’elle faisait mijoter : bœuf bourguignon, navarin d’agneau. Mon autre grand-mère faisait un lapin à la moutarde au four extraordinairement moelleux.

AS : Qu’ avez vous retenu de votre premier apprentissage chez "Troisgros" ?

JML : C’était pour moi la maison "idéale", une maison de famille, célèbre dans le monde entier quand j’y suis arrivé en 1977. J’ai eu un entretien assez long avec Jean, et Pierre avant d’être accepté. Je ne mesurais pas alors l’aura de ce restaurant ;j’ai confié m’être perdu parce que l’établissement n’était pas bien indiqué en ville, Jean m’a répondu, amusé : "Le monde entier sait que nous sommes en face de la gare !" C’est peut être pour cela que j’ai été embauché...

Chez "Troisgros" l’ambiance était chaleureuse. Jean était au service de la viande, en brigade donc. C’était un technicien parfait. J’ai compris bien plus tard son habitude d’offrir son torchon parfaitement propre alors qu’il venait de travailler deux heures à un membre de la brigade souvent couvert de taches de sauces... Cela voulait dire : " regarde petit lorsque tu travailleras comme moi tu seras vraiment un chef " et il avait raison. Pierre, lui, était très présent le matin, faisait le "garde manger", coupait les viandes, les ris de veau etc. Il surveillait l’envoi des plats pendant le service. Les deux frères se complétaient parfaitement. Tous deux présents en salle, ils créaient aussi ensemble. Mais, au bout de deux ans d’apprentissage, je ne savais pas encore grand chose, sinon que j’avais vraiment envie de faire ce métier.

AS : Il y a des plats comme les huitres en terrine océane qui durent sur la carte et d’autres qui disparaissent. Comment en décidez-vous ?

JML : Il y a d’abord le respect des saisons. Mais aussi un attachement à certains plats "mémoire" créés par mon père le plus souvent. Si ce plat d’huîtres disparaissait, il ferait place à un autre plat d’huîtres dont je suis particulièrement fier. "la Genèse d’un plat" que j’ai créé pour expliquer comment un plat né dans l’esprit d’un chef. Il est décomposé en 4 petits bols qui se succèdent et dans lesquels on ajoute à chaque fois un ingrédient supplémentaire pour arriver à l’assiette finale.

AS : Goûtez-vous aussi des plats chez vos collègues et concurrents ? Vous inspirent-ils parfois ? Par exemple, comment vous situez-vous par rapport à Marc Veyrat qui s’est fait une réputation en parlant de ses cueillettes personnelles de plantes sauvages dans la montagne ?

JML :Dans ce métier il faut être curieux de tout et garder l’esprit ouvert, mais il ne faut pas confondre le fait de prendre une idée chez quelqu’un avec le plagiat. On peut s’inspirer d’une technique de cuisson d’un produit que l’on découvre sans pour autant reproduire un plat, ce qui n’aurait aucun intérêt. Marc Veyrat, comme Michel Bras, travaille les plantes de montagne parce que cela fait partie de son histoire de ses racines savoyardes, il en a fait son identité. Moi j’ai un vécu différent et il est normal que mon inspiration vienne d’autres sources affectives.

AS : Considérez-vous que vous avez un rôle pédagogique ? Vous proposez des cours de cuisine ; est-ce que les clients de la salle ne sont pas aussi susceptibles d’apprendre ? Avez-vous une préoccupation de vulgarisation, pour faciliter la découverte de nouvelles sensations à des gens qui ne peuvent pas s’offrir vos menus ?

JML : Un client qui s’assied chez nous, c’est déjà un coût fixe. En revanche ce que le grand public ignore souvent c’est que les chefs travaillent aussi pour de grandes sociétés de l’agro alimentaire et qu’ils font beaucoup progresser la cuisine de tous les jours. Moi je travaille pour Sodexho et j’essaie d’apporter des idées pour améliorer les repas de cantines scolaires. C’est un travail très intéressant car il touche des millions d’enfants chaque jour qui ont besoin qu’on éduque leur palais. Malheureusement on ne peut pas faire de miracles compte tenu des budgets mais leur vraie démarche de qualité est intéressante et mérite d’être soulignée

AS : Pensez-vous que les enfants qui bénéficient de ces produits bon marché préparés au mieux s’éduquent ainsi au goût et deviendront peut-être plus tard des amateurs de bonne cuisine, peut-être même des clients de Jean-Michel Lorain ?

JML : Ce qui est important pour moi, c’est que les enfants ne pensent pas que la nourriture s’arrête aux "fast food". Aujourd’hui les mamans cuisinent beaucoup moins au quotidien, faute de temps. Ce n’est pas une raison pour qu’ils oublient que la cuisine fait partie de notre culture française. Nous avons donc un rôle important à jouer à ce niveau car nous sommes un peu les gardiens de cette tradition.Trop souvent quand les parents annoncent : "Dimanche on va au restaurant", les enfants considèrent que c’est une corvée pour eux. Aux chefs d’avoir de l’imagination pour que cette corvée devienne une fête et je crois qu’à la Côte saint Jacques on y réussit parfaitement.

AS : Qu’est-ce que vous entendez par travailler la sardine ?

JML : Avec les sardines on joue sur la texture : on ajoute une fine tranche de pain sur la peau du poisson qui en cuisant va devenir croustillante. C’est simple, mais cela change tout. C’est avec des astuces aussi simples que celle là que l’on arrive à magnifier les produits. Et c’est toute la magie de notre métier.